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Du désastre au chaos

Publié le 2019-02-21 | Le Nouvelliste


En gestion des risques et des désastres, tout est lié. Un risque mal géré conduit à un désastre. Combien de risques ont été mal gérés voire négligés en Haïti ? Le risque d’un éclatement social était prévu par plus d’un. Ce qui est en train de se passer est scientifique. Ce risque était analysé et documenté par des sociologues, politologues, historiens, entre autres. Dommage, nos dirigeants d’hier et d’aujourd’hui n’ont jamais cru à la science. Si le risque avait été bien géré, on aurait évité ce désastre social depuis plusieurs années. Et le désastre mal géré nous conduit directement au chaos.

Dans un article (1) publié dans les colonnes du Nouvelliste le 15 janvier 2019, j’avais tenté d’expliquer comment le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a exacerbé une crise sociale sans précédent. Ce mauvais coup du 12 janvier 2010 ne sera jamais oublié, mais les dirigeants devraient toutefois se mettre à la hauteur de la situation post-séisme. Aucun d’entre eux n’ont donné le ton. Aucun. Ils préfèrent augmenter le nombre de ministères, créer de nouvelles secrétaireries d’État et de directions générales. Est-ce pour claironner la bonne santé de l’économie ou pour inviter plus d’amis à la fête ? Une fête au prix de la misère et du désespoir de la majorité.


La chute des valeurs


Le non-respect des normes sociales nous mène à une étonnante dépravation de la société. Pire, de hauts fonctionnaires de l’État donnent des exemples de mauvais goût. On a déjà entendu des noms de directeurs généraux impliqués dans des cas de viol. On a vu les images nues d’un directeur départemental de l’Éducation nationale qui voulait se montrer. On a vu une vidéo qu’un directeur général a prise de lui-même en train de se masturber. Toutes ces images ont été publiées sur les réseaux sociaux. Des scènes de pornographie offertes à la jeunesse qui n’avait rien demandé.

C’est la débandade. Des autorités qui devraient défendre les valeurs républicaines, perdent tout le sens de la moralité. Ils ne sont pas conscients de leurs fonctions. Ils perdent du même coup le respect des citoyens.


La misère ayant ajouté sa couche, la prostitution ne se cache plus dans les rues de Port-au-Prince en particulier. Comme pour imiter les autorités. Des jeunes filles ne cachent plus leur métier de prostituées. On est passé de «ti sourit» à «atè plat». On a touché le fond.


Devenue la règle dans le système politique haïtien, la corruption fait la loi à tous les niveaux. Les plus grands commerçants s’appuient sur la contrebande et la concurrence déloyale. Le simple citoyen malhonnête croit qu’il peut obtenir ce qu’il veut sans mérite, sous le slogan «kolonn ki bat». Et ceux qui n’ont pas de « kolonn », n’auront-ils donc rien ? Ce à quoi l’on assiste aujourd’hui est le résultat de nombreuses années de frustration. Des jeunes qui voient leur avenir volé par le système et disent « c’en est assez ! ». Des jeunes qui ne peuvent rien faire de leur vie parce qu’ils ont la malchance, disent-ils, d’être nés et de vivre en Haïti. Des gens qui voient un proche mourir pour un rien parce qu’il n’a pas accès aux soins de santé. La justice est au service du plus offrant. Aucun pays ne peut survivre sur fond de telles inégalités sociales.


Le baril de poudre a explosé


Je disais dans l’article du 15 janvier de la même année que l’État n’avait jamais été aussi absent. Que dans la rue on lisait l’anxiété sur le visage dans gens comme s’ils savaient que quelque chose pouvait arriver à tout moment. Nous y sommes.


Les inégalités sociales sont connues. Le problème de la corruption est connu. Le manque d’hôpitaux et de personnels sanitaires est connu. Les abus de la justice sont connus. Les analystes politiques l’ont dit: «Nous vivons sur un baril de poudre.» Pourquoi les dirigeants n’ont pris aucune mesure concrète pour soulager la misère de la population et pour commencer à fonder une nation juste. Le pays est conscient que les problèmes sont nombreux et complexes. Mais Mesdames, Messieurs les dirigeants, c’est vous qui avez la charge de les aborder.


Ces menaces sociales ayant été constamment présentes, l’alerte a été donnée les 6 et 7 juillet 2018 suite à l’annonce de la hausse des prix des produits pétroliers. Le cri de la population ayant mal été compris, les mesures n’étaient pas satisfaisantes. Même avec la démission du Premier ministre Jack Guy Lafontant et le retrait de la décision d’augmenter les prix des produits pétroliers.


Le 17 octobre, de grandes manifestions ont été organisées dans tout le pays pour demander justice sur le dossier de la dilapidation du fonds PetroCaribe. Aucune décision concrète après cette grande journée de manifestation. Le 18 novembre, d’autres mouvements de protestation pour demander des comptes sur le fonds PetroCaribe et la démission du chef de l’État.


Dès le mois de janvier 2019, des manifestations ont été annoncées pour le 7 février dans les 10 départements du pays pour exiger la démission du président de la République, le procès PetroCaribe et le soulagement de la souffrance de la population.


Le 5 février, malgré l’annonce du gouvernement de 11 mesures permettant d’atténuer la misère des Haïtiens, les manifestations ont été maintenues. Car nos compatriotes n’y croyaient pas. Il s’agissait pour la plupart des mesures qui avaient déjà été prises et non appliquées.


7 février : « Pays lock »


Depuis le 7 février, c’est un soulèvement général dans tout le pays. Les écoles, les universités, les commerces ne fonctionnent pas. La place à des manifestations violentes, des casses, des barricades enflammées, des voitures incendiées. Ces manifestations ont fait au moins une dizaines de morts et plusieurs dizaines de blessés.


Cette situation nous met sur la voie d’une catastrophe humanitaire grave. Une grande partie de la population déjà fragile, vivant au jour le jour, est restée prisonnière chez elle. Les provisions alimentaires commencent à manquer. Les hôpitaux n’ont plus d’intrants pour prodiguer des soins. L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti est fermé de fait, au moment où on en a le plus besoin. Malgré tous ces dégâts, c’était le silence radio du côté du président Jovenel Moïse jusqu’au 14 février.


14 février : le coup de grâce


8 jours après le début des hostilités, le coup de grâce a été donné par le président lui-même avec ce discours qui n’était pas celui de la circonstance. En effet, après 8 jours d’attente, on s’attendait à ce que notre président annonce des mesures concrètes pour tenter de baisser la fureur de la population. Non, rien de tout cela. Le premier responsable de la nation nous a livré son constat ou un rapport narratif de la situation. Oui, il nous a juste raconté ce qu’il a vu dans les rues : « …il y a eu des casses, des voitures incendiées, des trafiquants de drogue, des bandits armés marchant côte à côte avec des officiels, … patati patata ». Tout ceci pour ça. Avions-nous besoin du président pour savoir ce qui se passe dans les rues?


Le président a confirmé le chaos. Il a scellé son incapacité et celle du gouvernement à faire face à la situation. Il a vu des bandits et des trafiquants contre qui il ne peut même pas porter plainte. Il s’est contenté de nous le dire. Merci, Monsieur le président.


D’un autre côté, ce discours sans contenu n’a fait qu’augmenter la colère de la population. Les gens se sont rendus compte que le président ne comprenait pas leur cri ou voulaient minimiser la dimension de la crise. Peu après son discours, des pneus enflammés ont été rapportés en signe d’insatisfaction.


Malgré les promesses du Premier ministre Jean-Henry dans son discours du 16 février, la rue dit rester mobilisée.


Encore une fois, nos dirigeants n’ont rien compris. Les revendications dépassent le gouvernement. Elles dépassent le seul fait d’avoir faim. Les jeunes veulent s’attaquer aux causes de la faim depuis la fondation de l’État. Les revendications dépassent la demande du procès PetroCaribe. Les jeunes veulent en finir avec cette corruption qui les met dans une misère noire depuis fort longtemps. Contrairement à ce que l’on puisse imaginer, la population n’aime pas occuper les rues pour manifester. Les Haïtiens veulent aborder les problèmes structurels pour qu’ils n’aient pas à descendre dans les rues tous les mois. Ils veulent changer une fois pour toutes ce système générateur de disparités sociales et de misère.



Newdeskarl Saint Fleur newdeskarl@gmail.com


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