Au banditisme légal, des solutions sociétales?
- newdeskarl
- 27 mai 2020
- 6 min de lecture
Publié le 2019-05-07 | Le Nouvelliste
D’où viennent les armes des bandits? Cette petite question nous donne le tournis. La question est justifiée par le fait que ces individus sont issus de quartiers défavorisés et sont des plus pauvres de la population. Comment des gens qui peinent à manger à leur faim pourraient s’acheter des armes de guerre? Des armes de haut calibre et des munitions dont ne dispose même pas la Police nationale d’Haïti (PNH). Alors, d’où viennent ces armes et ces munitions?
Un problème complexe aux nombreux complices
Rien qu’en posant cette question, on imagine déjà la complexité du banditisme en Haïti. Ceux-là qu’on voit dans les rues avec les armes en main ne sont que le produit fini du laboratoire à bandits. Qui a de l’argent pour armer les bandits et à quelles fins? Comment sont arrivées ces armes sur le territoire? Au nom de qui? Où est passé le contrôle des frontières? Des douaniers témoignent qu’ils sont parfois forcés par des autorités de laisser passer certaines cargaisons sans contrôle. L’affaire du port de Lafiteau en est un exemple remarquable.
Autrefois, les dirigeants nous terrorisaient avec leurs milices, comme les tontons macoutes du temps des Duvalier. Puis, les régimes militaires nous terrorisaient avec les FRAPH et les attachés. Avant que le prêtre de Saint-Jean Bosco ne nous passe des chimères. Le PHTK s’est présenté sans milice. On croyait qu’on était bons. Erreur ! Ce parti et ses alliés couvrent, protègent, hébergent des bandits armés. Qu’avons-nous fait pour mériter cela? Nous votons des gens pour nous aider à sortir de la misère. Ils n’ont rien fait en ce sens, mais ils nous tuent, volent et violent.
Le massacre de Carrefour-Feuilles du 24 avril 2019 nous rappelle celui du 28 novembre 1985, celui de la ruelle Vaillant du 29 novembre 1987, celui de la Scierie du 11 février 2004, celui de La Saline du 13 novembre 2018, entre autres.Hier, quand les malfrats faisaient la loi à Port-au-Prince, les riverains savaient se rabattre à la campagne. Aujourd’hui, les bandits, devenus « légaux », gagnent du terrain. Ils nous rejoignent dans nos tendres campagnes et terrorisent nos pauvres paysans. Il n’y a plus de zones de non-droit. Haïti est de non-droit. On ne peut pas porter plainte. On ne sait plus qui est qui. Le banditisme est d’État.
Une enquête sénatoriale révèle qu’un sénateur de la République est de connivence avec un chef de gang. Entre seulement le 7 et le 22 février 2019, pas moins de 24 appels ont été passés entre le sénateur Garcia Delva et Arnel Joseph, l’homme le plus recherché ces derniers mois par la police haïtienne. Les fréquents appels entre le sénateur et le caïd coïncident pile-poil avec l’opération « peyi lòk » et l’apparition du bandit et de ses hommes dans l’une des manifestions de l’opposition. Le sénateur, l’air détendu, ne trouve pas mieux à dire que « tout le monde parle à tout le monde ». Désolé, monsieur Delva, vous n’êtes pas monsieur Tout-le-monde. Vous êtes un sénateur de la république. Je dirais même que Arnel Joseph n’est pas non plus monsieur Tout-le-monde. C’est le chef de gang le plus recherché par les forces de l’ordre.
À regarder le sénateur dire cela à la télé, il fait pitié. Il n’est pas du tout conscient de son statut d’homme d’État. Être homme d’État, cela s’apprend. Il y a un vrai travail à faire en ce sens qui n’est pas discuté ici.
L’affaiblissement de la PNH
Bien entendu, le massacre de Carrefour-Feuilles nous a choqués. Ils sont nombreux à demander à la police de prendre ses responsabilités. Ce système de bandits dépasse un simple travail policier. De plus, la PNH a longtemps été affaibli par ce système. A maintes reprises, le directeur général de l’institution se plaint de la libération de bandits par des juges corrompus. Et ces bandits, à leur sortie de prison, deviennent encore plus dangereux pour les policiers. Ces derniers n’ont ni le moral ni les moyens. Un haut gradé de la PNH a confié au Nouvelliste que Jovenel Moïse n’a jamais voulu de Michel-Ange Gédéon (1). Ce serait l’une des raisons pour lesquelles la PNH souffre du manque d’équipements, d’armes et de munitions. Tout cela pour montrer l’incapacité du directeur général. Au prix du sang? De beaucoup de sang? Quel cynisme!
En même temps, des bandits bénéficient des privilèges de l’État et des élus en particulier. Comme pour accorder plus d’importance au « travail » des bandits armés au détriment de celui de la PNH.
Être chef de gang constitue une fonction très lucrative. Ces chefs ont de nombreuses sources de revenus qu’ils ne sont pas prêts à abandonner du jour au lendemain (2). Il faudrait s’attaquer aux incitations à devenir chef de gang.
Limiter la production de chefs de gangs
La liaison entre élus et chefs de gangs commence dès les élections. Pour faire campagne dans les bidonvilles, les candidats sont obligés de payer aux chefs de gangs leur accès à ces quartiers (2). Cette liaison continue d’exister après les élections. Les élus se sentent dépendants de ces bandits pour leur réélection. En clair, ils sont devenus amis. En tant qu’amis, l’un rend des services à l’autre. Le bandit œuvre à la réélection de l’élu et celui-ci le protège, utilise son influence pour le libérer de prison en cas de coup de filet de la police. C’est une relation gagnant-gagnant qui est difficile à défaire.
Devenu un allié sûr de l’élu, le chef de gang donne non seulement accès au quartier, mais aussi la garantie de certaines fraudes électorales en faveur de son compère.
Partant de ce constat, il paraît logique de proposer de limiter la quantité de candidats aux élections en étant strict sur les critères moraux. Moins de candidats au parcours douteux pourrait réduire l’appétit de gagner par les fraudes et donc réduire le besoin de transformer ces jeunes en chefs de gangs.
De plus, l’impunité doit être éradiquée et la justice forte et indépendante. La détection et la sanction sont les meilleures formes de dissuasion contre les bandits armés et leurs complices (3). La grande bataille contre la corruption est celle contre la corruption dans la justice.
Réduire la vulnérabilité des jeunes des quartiers défavorisés
Plusieurs propositions ont été faites en termes de formation professionnelle et de projets générateurs de revenus pour ces jeunes (3). Avec la facilité de gagner de l’argent avec les armes, il est loisible d’être dubitatif quant à l’atteinte des objectifs de ces projets. Moi, je pense que ces projets, s’ils sont bien réfléchis, peuvent réduire considérablement la production de gangsters. Pourquoi? Parce que les motivations de faire partie d’un gang sont multiples. C’est vrai qu’il est plus compliqué pour ceux qui ont des motivations politiques, car être un gangster qui aspire à être chef de gang donne certains « avantages » sociaux en dehors de l’argent (2). Mais, ceux qui sont dans le gang parce qu’ils sont dans la misère et sans emploi pourraient être récupérés en amont par ces projets.
À Cité-de-l’Éternel, dans les années 2000, j’ai connu des garçons de 10 ans que les parents ne pouvaient pas envoyer à l’école. Vous passez le matin, ils s’attroupent et jouent devant la maison de l’un d’eux. Vous revenez dans l’après midi, ils sont là. C’était déchirant de voir ce gaspillage d’hommes. Aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. À bon entendeur, salut!
Investir dans la petite enfance
Le débat sur les solutions à l’insécurité bat son plein. Il y a des solutions à court, moyen et long termes. La solution durable à mon humble avis, c’est de s’assurer que tous les enfants aillent à l’école. Je ne parle pas ici de leur mettre un uniforme sans que l’on sache ce qu’ils font.
Tous les enfants d’Haïti doivent recevoir une éducation de qualité avec un suivi scolaire adéquat. Les classes doivent contenir une vingtaine d’élèves pour le bon développement cognitif et socio-affectif des enfants. L’école doit pouvoir bénéficier des services d’un psychologue pour le suivi de certains cas. On peut tout gagner et tout perdre à ce stade.
Le besoin de reconnaissance est un besoin comme les autres. Des individus sont prêts à faire des bêtises afin qu’ils comptent pour la société, pour qu’on les écoute. À entendre les chefs de gangs à la radio, ils dégagent une fierté d’être entendus par tous. Ils demandent que les chefs du pays viennent négocier avec eux. Ils se sentent importants et ils l’expriment. C’est souvent un besoin qui n’a pas été assouvi au cours de l’enfance. Il y en a qui n’ont pas grandi dans une famille. Ils ont grandi sans affection, sans soutien. Ils n’ont jamais compté pour quelqu’un. C’est dévastateur pour l’individu et pour la société.
Chaque enfant est différent et se développe à son rythme. À l’âge de 3-4 ans, l’enfant apprend à exprimer ses émotions par des mots. Aux émotions négatives comme la tristesse et la colère, il a besoin d’être compris et soutenu (4). À l’école comme à la maison, l’enfant a besoin de grandir sur le plan émotionnel et comportemental.
Pour les enfants qui n’ont pas de famille, il faut prévoir des structures d’accueil dignes et dédiées, avec des professionnels qualifiés de la petite enfance.
Enfin, cela requiert un peu d’investissement. La réduction du nombre d’élèves par classe implique plus de maîtres et de maîtresses bien formés. Aussi plus d’écoles, de cantines, de centres de formation des maîtres, entre autres. Cependant, on doit décider quel type d’homme produire pour une autre société. L’État et la société civile doivent tout faire pour consentir cet investissement. Vaut mieux tout investir dans l’éducation des jeunes enfants, car ne pas les éduquer coûte trop cher au pays.
Newdeskarl Saint Fleur newdeskarl@gmail.com
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